Camps Odyssée

Forger le caractère par le plein-air

Publié par Vincent Noël
jeudi 05 novembre 2015

Rawdon, 30 degrés sous zéro, un banc de neige et des tentes prospecteurs. C’est possiblement la première fois où je me suis senti hors de ma zone de confort en milieu naturel. J’avais peut-être 12 ou 13 ans. Nous étions sortis pour le week-end avec mon unité d’éclaireurs, dans les scouts. Cette année là, j’ai non seulement appris que laisser son manteau et ses bottes humides à l’extérieur de l’abri pour la nuit était une mauvaise idée, mais aussi qu’ils étaient impossibles à enfiler une fois gelés. Plus que ça, j’ai appris comment me débrouiller et demander de l’aide. Vous comprendrez que j’en avais cruellement besoin. L’essentiel, c’est que j’ai appris.

 Le plein air comme outil de développement n’est pas nouveau. Le concept est très ancien et des expériences formatrices en nature peuvent être relevées dans différentes cultures et à différents moments dans l’histoire de l’homme. Par contre, le fait de participer à ce genre d’expérience de façon volontaire l’est. Jadis des rites de passages, les expériences formatrices en milieu naturel sont peu à peu devenues optionnelles avec l’industrialisation. Dès lors, le monde industrialisé a vu apparaître toutes sortes de groupes offrant des opportunités d’expériences en plein air. On peut penser aux scouts, aux groupes 4H et à Outward Bound. Cette initiative britannique est intéressante et
mérite un regard plus approfondi.

Outward Bound a débuté en 1941 avec sa première école à Aberdovey sous la direction de Kurt Hahn et de Lawrence Holt. L’approche de l’école était basée sur un programme de 4 semaines comprenant un entraînement physique, des
notions de matelotage et une expédition sur terre. L’idée était de développer le leadership des participants et de « forger le caractère ». Les mots « character training » étaient effectivement employés pour définir le programme proposé par Outward Bound.

On supposait à l’époque que les défis potentiellement dangereux en milieux naturels offerts par OB avaient de réels impacts sur le « caractère » des jeunes hommes participants. D’ailleurs certains employeurs allaient même jusqu’à payer la formation d’OB à leurs employés, jugeant l’expérience très pertinente.

Outward Bound n’a eu que peu de justifications à donner à son programme vu le contexte socio-économique dans lequel l’idée émergeait.

« This convergence was the result of, on the one hand, a widespread and longstanding belief among educationists in the importance of character, and, on the other, some specific features of the war and postwar years.[1] »

Bref, aucune vérification scientifique, mais les acteurs du milieu s’entendent pour dire que OB offre des bénéfices variés à ses participants. D’ailleurs, plus d’écoles ouvriront éventuellement leurs portes, avec les mêmes visées : offrir un programme court pour développer le caractère des jeunes hommes qui, aux yeux des pères fondateurs du mouvement, manquent de discipline, d’initiative, de mémoire, de compassion, de compétences techniques et de forme physique.

Suite à différentes critiques du mouvement, dont son aspect militaire, les difficultés à mesurer les impacts réels et le manque d’évidence de la conservation des acquis à long terme, Outward Bound a commencé à réformer son
vocabulaire et à orienter ses pratiques différemment. La situation d’après-guerre a aussi poussé le mouvement dans cette direction en modifiant l’image de la masculinité. Outward Bound s’est mis à promouvoir, non sans heurts avec ses fondateurs, le développement personnel plutôt que le « character training ».

Éventuellement le mouvement s’est exporté, entre autres en Amérique du Nord et les portes se sont lentement ouvertes à l’inclusion des femmes dans l’expérience. Outward Bound opère encore dans plusieurs pays et a défriché le chemin vers la pratique d’activités de plein air « utiles » au développement en plus d’ouvrir la voie au plein air thérapeutique. De plus, certains détachements du mouvement en sont maintenant à promouvoir la recherche dans le domaine. C’est le cas d’Outward Bound Canada, qui a créé un comité de recherche national qui offre support et direction aux chercheurs oeuvrant dans les différentes branches de l’éducation par le plein air.

Bref, on est maintenant loin de l’apprentissage purement technique (les manteaux et bottes gèleront toujours si laissés au froid toute une nuit par un jeune scout insouciant). Ces connaissances sont facilement enseignables et ne
demandent que peu d’implications. Ce qui importe c’est le développement de l’individu, comme OB l’a fait ressortir. Du « character training » à la découverte de soi, Outward Bound a fait de grands pas et nous ne pouvons qu’espérer que le tout se poursuive !

Vincent Noël

Pour de plus amples informations sur Outward Bound :

http://www.outwardbound.ca/

Freeman, M. (2011). From ‘character-training’ to
‘personal growth’: the early history of Outward Bound 1941–1965. History of education. Vol. 40, p 21-43, DOI
: 10.1080/0046760X.2010.507223

The Outward Bound Schools: Character-Training Through Adventure: CUL
Add. 8270/ 26/45.

[1] Freeman, M. (2011). From ‘character-training’ to
‘personal growth’: the early history of Outward Bound 1941–1965. History of education. Vol. 40, p. 27, DOI
: 10.1080/0046760X.2010.507223